After work...
Les soirées se font courtes, et pas seulement parce que c’est l’hiver, goût de s’envelopper dans de gros pulls, mais la vie de bureau préfère les vestes cintrées. On tente la résistance à la Machine, mais déjà lorsque l’on s’arrête à l’exhalaison du train migrateur et pendulaire, on s’attire les récriminations de la foule, comme heureuse d’aller à l’abattoir. Alors on se rabat sur la fuite, plongée nez en avant, oubliant de respirer – on s’en fout, l’élément liquide et mobile est loin – dans la lecture de romans de gare (ou parfois mieux, ça dépend de l’ambition), en se disant que demain, on fera mieux. Et déjà l’année passe, faire un retour sur soi encourage l’esprit à l’espoir de rester fidèle aux anciennes aspirations, intègre à soi-même. Mais la routine revient, entêtante et immuable comme la ritournelle de la danse des chevaliers, le mouvement ne peut s’arrêter comme ça, d’un coup de tête. On se cherche des alliés dans la foule que l’on croise sempiternellement, on rêve ensemble d’un ailleurs où l’herbe sera plus verte, mais lorsque les portes s’ouvrent, à l’arrêt, on retourne chacun vers ses habitudes, les propositions de concrétisations ou supposées telles autour d’un verre de bière dans un rade à l’ouverture tardive restent lettre morte, « tu comprends, je veux voir grandir mes gosses ». Les réflexes à la rentrée dans les pénates sont ardus à perdre, déjà le doigt appuie sur l’interrupteur de la télévision qui persiste dans le flot de ses inepties habituelles, et ses encouragements à la consommation sans entrave. Heureusement que l’esprit cartésien inculqué par l’éducation française a laissé ses marques, sinon, on serait en plus endetté sur quinze générations, le frigo vide, mais l’appartement rempli jusqu’à la gueule d’appareils inutiles du manque de temps pour s’en servir. Déjà qu’on n’a pas le temps de se poser pour un peu de culture… L’envie de zapper, avachi, accrue par la fatigue engendrée par une vie de jeune cadre au forfait horaire point, après la satisfaction trop rapide de l’estomac usé par trop de salades bios aux vinaigrettes corrosives. La volonté de résistance s’émousse, les paupières sont déjà lourdes, endettées de sommeil en retard, regard fatigué de l’exposition à la lumière blafarde des tableurs et traitements de textes, on sera encore crevé demain.